UN MONSTRE DANS LES JARDINS
DE LE NOTRE
« Maman » l'araignée géante, oeuvre emblématique de Louise Bourgeois, est actuellement dans le jardin des Tuileries entourée de
sculptures françaises classiques, non loin des femmes aux formes rebondies d'Aristide Maillol. Oeuvre d'art contemporain, l'arachnide monumental se confronte aux bâtiments historiques du Louvre.
aux Tuileries
Collection particulière Cheim & Read, New-York
Les araignées sont souvent un objet de répulsion. Mygales velues ou minuscules bêtes rouges, elles suscitent sinon la panique du moins le malaise. Les prédatrices géantes qui
hantent les bandes-dessinées et le cinéma fascinent et affolent les pauvres humains qui ne peuvent que fuir pour mieux
s'engluer dans leur toile mortelle. De nombreux films exploitent l'effroi des braves gens devant ces monstres à huit pattes. Seuls les vrais héros peuvent les vaincrent comme en
témoignent "Le voleur de Bagdad" de Michael Powell (1940), "Tarentula" de Jack Arnold (1956), et même "Harry Potter et la
chambre des secrets de Cris Colombus" (2002). (1)
Maman (1999), araignée géante de Louise Bourgeois aux Tuileries.
Haute de neuf mètres.
Collection particulière Cheim & Read, New-York
« L'araignée, pourquoi l'araignée? parce que ma meilleure amie était ma mère, et qu'elle était aussi intelligente,
patiente, propre et utile, raisonnable et indispensable qu'une araignée. Elle pouvait se défendre elle-même. »
Voici ce que l'artiste inscrit sur la plaque devant sa sculpture haute de neuf mètres, ignorant malicieusement l'aspect menaçant de son oeuvre. L'arachnide fabuleux est
une bonne introduction au travail complexe et aux fantasmes morbides de cette vieille dame de 96 ans.
Depuis les premiers dessins de 1940, Louise Bourgeois a crée plusieurs araignées de différentes tailles. Une figurine, exposée à Beaubourg, représente une femme rouge
transpercée de huit pattes. Est-elle l'araignée dévorante ou la proie dévorée?
Une image de cauchemar, comme beaucoup d'oeuvres de Louise Bourgeois qui se nourrissent des traumatismes de l'enfance.
"Tout mon travail, tous les sujets, trouvent leur source dans mon enfance", dit-elle.
Transportée aux Tuileries en pièces détachées et montée à l'aide de grues, l'araignée de bronze et d'acier inoxydable surplombe les parterres de Le Nôtre et les sculptures
classiques inspirées de l'antique qui ornent les jardins. L'araignée géante, ses fines pattes anguleuses ancrées dans le gazon, domine les passants qui ne s'émeuvent pas trop de ce monstre
figé.
La sculpture est posée sur une pelouse interdite aux promeneurs et on ne peut que furtivement examiner, en contre-plongée, une résille de métal contenant des blocs de marbre,
les oeufs. Bientôt un gardien siffle le contrevenant et lui ordonne de retourner sur l'allée sablée.
La nuit aux Tuileries, la silhouette émaciée de « Maman » se découpe sur le ciel
encore clair; les feuilles frémissent dans le vent et la rumeur venue de la ville crée une atmosphère propice aux terreurs ancestrales. Un promeneur, ignorant la présence de l'araignée pourrait
sursauter en l'apercevant à travers les arbres! Quant aux sculptures du dix-huitième et du dix-neuvième siècle qui entourent le monstre, elles participent à une mise en scène de la douleur et de
l'effroi.
Tous, héros mythologiques et héros romains, allégories et sylphides, figés dans leur gesticulation
stéréotypée, miment la peur, le désespoir, le courage farouche. "Maman" n'exprime rien, elle n'esquisse aucun
mouvement, elle est là, c'est tout. C'est une mère portant ses oeufs et les mères peuvent être terrifiantes. Impassible
et pourtant dangereuse, elle éveille en nous des fantasmes, des angoisses imprécises dont se joue Louise Bourgeois.
Une deuxième araignée géante (crouching spider) est installée dans le hall de Beaubourg.
On peut la voir de près mais la complication visuelle de l'arrière plan rend difficile sa perception. Au troisième étage, une autre araignée enserre une cache grillagée entre ses pattes. A
l'intérieur, des objets de la vie familiale. La famille est une prison, un enfer créé par un père détesté.
Reconnue tardivement, Louise Bourgeois fait
aujourd'hui partie des plasticiens contemporains baroques les plus en vue comme Jeff Koons et Damien Hirst qui eux aussi
travaillent avec les animaux et la monumentalité. Maman, ou big Mama, l'araignée gigantesque
est une rock star en tournée mondiale. Son imprésario est excellent
ou elle est douée d'ubiquité pour se retrouver ainsi aux quatre coins du globe. Plus concrètement, il y a plusieurs exemplaires de la sculpture en circulation.
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